Il fut un temps où la littérature se rêvait transgressive. Où l’écrivain ou l’écrivaine se tenait aux marges, armé·e d’un regard acéré, prêt·e à déranger, à heurter, à secouer. Aujourd’hui, un terme revient avec insistance dans les débats littéraires : le politiquement correct. Pour certain·es, il s’agit d’un garde-fou éthique, garant d’une parole plus juste et inclusive. Pour d’autres, il sonne comme une menace pour la liberté d’expression.
Pendant des siècles, la littérature a été l’outil d’une parole dominante — souvent blanche, masculine, bourgeoise — reléguant les voix marginalisées aux silences ou aux clichés. Les appels actuels à une plus grande inclusivité, à l’abandon des stéréotypes, à la justesse des représentations, sont donc légitimes. Il ne s’agit pas de censure, mais de justice narrative. Redonner leur place à celles et ceux que la littérature a longtemps ignoré·es, c’est élargir le champ de l’imaginaire, pas le restreindre.
Mais cette vigilance, si elle devient injonction, peut produire l’effet inverse : une littérature sous tension, où l’auteur·rice hésite, coupe, édulcore. Certains sujets deviennent tabous, certaines figures trop risquées à écrire. L’autocensure n’est plus politique, elle devient réflexe. Et l’on voit naître une littérature prudente, souvent plate, soucieuse d’éviter le malentendu plutôt que de le creuser.
Le danger, finalement, réside dans l’uniformisation des voix, et la disparition du gris au profit d’un manichéisme littéraire. Une littérature qui ne dérange plus, qui cherche à plaire plutôt qu’à questionner, est-elle encore vivante ? La réponse n’est pas de revenir à une provocation gratuite, mais de défendre la nuance, l’ambiguïté, la pluralité des points de vue. Écrire, ce n’est pas donner des leçons de morale ; c’est explorer des zones troubles, où le lecteur est libre de se faire son opinion.
La liberté littéraire ne s’oppose pas à la responsabilité. Elle s’y frotte, s’en nourrit, parfois s’y confronte. Le politiquement correct ne doit pas être un carcan, mais un appel à écrire mieux, avec plus de justesse, plus de conscience — sans sacrifier la liberté de création sur l’autel d’un consensus lisse.
Il ne s’agit pas de demander aux écrivain·es de se taire, mais de leur faire confiance pour inventer des formes qui, tout en étant respectueuses, n’abandonnent rien à la puissance du récit, à l’audace de l’imaginaire, et à la beauté du langage libre.
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